Dominique Nora :Parlons un peu des actions de Microsoft envers les milieux éducatifs. Gr@ine de Multimédia, menée en partenariat avec Hewlett- Packard, a doté douze écoles primaires françaises de microordinateurs avec CD-Rom. Le volet éducation de Compétence 2000 propose d’apprendre l’informatique aux étudiants de l’enseignement supérieur et aux apprentis-instituteurs des instituts de formation des maîtres. Comment jugez-vous ces initiatives ?
Roberto Di Cosmo :Sûrement pas comme les cadeaux d’un philanthrope
bienveillant : il faut savoir qu’avec ces opérations, Microsoft
gagne sur tous les tableaux. Il s’agit, en réalité, de faire d’une
pierre quatre coups.
Un, l’entreprise améliore son image citoyenne.
Deux, elle
fait de nos enfants des prescripteurs de produits Microsoft
aujourd’hui… et de futurs acheteurs demain.
Trois, elle prend
pied sur des marchés, comme celui de l’éducation, qui deviendront
colossaux.
Quatre, elle éradique le libre arbitre justement
là où il devrait prendre racine.
(...)
Quand, pour Gr@ine de Multimédia, Hewlett Packard donne
des micro-ordinateurs, ça lui coûte vraiment de l’argent. Pas les
15 000 francs que vous payez, vous, pour un PC Pavillion, mais
peut-être la moitié.
En revanche, quand Microsoft fait don de
logiciels (et avec Compétence 2000, ce n’est même pas le cas
puisqu’il faut en acheter un exemplaire !), ça ne coûte réellement
à l’entreprise que quelques francs par CD-Rom.
Alors le cadeau, c’est simplement l’économie réalisée par l’établissement
scolaire (quelques centaines ou milliers de francs d’acquisition
de la licence du logiciel pour chaque poste où il est
installé)… C’est donc, en fait, du manque à gagner par rapport
à une situation de vente normale. Où est la philanthropie ?
La valeur d’un cadeau, c’est ce que ça coûte au donneur ; pas le calcul
théorique de ce que ça vaut sur le marché… C’est pourtant
ce mode de calcul qui est appliqué à toutes les opérations
Microsoft aux États-Unis, comme en France, en Suisse, ou en
Afrique du Sud.
D’ailleurs, un vrai cadeau — « sans ficelle attachée », disent
les Américains — aurait consisté à laisser le choix à ceux qui le
reçoivent. Andrew Carnegie, un grand philanthrope américain
du début du siècle, n’a pas fondé en 1900 la Carnegie Mellon
University en donnant des tonnes d’acier sortant des usines de
la Carnegie Steel Company.
Non, il a donné de l’argent avec
lequel l’université a été libre de construire ses bâtiments dans le
matériau de son choix : en brique, en bois ou en béton si cela
lui chantait. Et il s’est conduit de la même façon avec son projet
de librairies publiques.
Les « cadeaux » de Microsoft, en revanche,
sont une façon supplémentaire de prendre leurs bénéficiaires
dans le filet de ses standards propriétaires.
Si l’entreprise veut vraiment se montrer généreuse, qu’elle donne de l’argent avec lequel chacun pourra acheter ce qu’il veut ; y compris des ordinateurs Macintosh et des logiciels Netscape…
Roberto Di Cosmo, Dominique Nora