Dominique Nora :Mais c’est très difficile, pour des institutions qui ont des budgets serrés, de refuser des dons de matériel ou de logiciel.
Roberto Di Cosmo :Non. C’est un faux problème. Parce qu’il existe, surtout dans
l’enseignement, d’autres solutions bien moins coûteuses que
ces cadeaux empoisonnés : celles qui sont fondées sur le logiciel
libre (voir chapitre 5). De plus, même si, dans un premier
temps, les industriels font des propositions alléchantes pour
prendre pied sur le marché, rien ne prouve qu’ils ne chercheront
pas ensuite à augmenter les prix. C’est la méthode ultraclassique
des dealers de drogue qui donnent la première dose
gratuite. Il y a d’ailleurs des précédents : en décembre 1997,
Microsoft a annoncé la suppression au Japon des « licences de
site » et a entrepris des actions similaires partout dans le
monde. Ce type de licence autorisait les universités à payer les
logiciels en proportion de leur usage réel, et non pas en fonction
du nombre d’ordinateurs sur lesquels ils étaient installés.
Ces changements vont imposer des surcoûts considérables,
que les Japonais vont obligatoirement devoir assumer,
puisqu’il n’existe plus de concurrents vers lesquels se tourner.
L’autre beauté des solutions à base de logiciel libre, c’est que
l’on peut utiliser du matériel prétendument périmé, au lieu des
machines chères indispensables pour faire tourner Windows !
Le contre-exemple Suisse est à cet égard éclairant. En
octobre 1997, le ministre des Finances suisse a annoncé un
accord avec Microsoft, dont le schéma est le suivant : l’administration
suisse met à la disposition des collèges deux mille
cinq cents ordinateurs dont elle ne se sert plus ; et Microsoft
offre autant de licences d’utilisation de Windows 95 et d’Internet
Explorer, ainsi que la formation de six cents éducateurs à
l’utilisation de l’ordinateur. C’est-à-dire qu’à un coût réel inférieur à celui d’une campagne publicitaire, Microsoft était ainsi
à même d’établir son hégémonie sur l’informatique des collèges
(et donc sur celle des entreprises suisses quand les élèves qui
n’auraient connu que Microsoft Office seraient arrivés sur le
marché du travail).
Cette initiative a finalement capoté. Pourquoi ?
Parce que les
vieux PC de l’administration suisse, équipés pour la plupart de
microprocesseurs anciens — des 486 — étaient tout à fait incapables
de faire tourner correctement Windows 95, dont on a vu
qu’il était extrêmement gourmand en puissance. Si vous voulez
accepter les « cadeaux » du monopoliste du logiciel, il vous faut
dépenser une fortune en matériel !
J’aimerais bien que les Suisses
profitent de l’occasion pour équiper de logiciels libres, comme
Linux ou FreeBSD, toutes ces machines autrement inutilisables.
Roberto Di Cosmo, Dominique Nora