couverture du livre "hold-up planétaire

Dans d’autres cas, Microsoft prend vraiment une licence pour des technologies sur lesquelles elle n’a aucun savoir-faire, ou bien acquiert en totalité les sociétés qui les ont inventées. Ces opérations sont ce qu’on appelle des buy in.

Mais le cas le plus significatif est sans doute celui de Real- Networks, l’entreprise qui a introduit le populaire standard RealAudio pour transmettre du son en direct sur le Web. Dans sa logique de contrôle de tous les standards du réseau, Microsoft a essayé d’acheter RealNetworks. Mais son patron, Rob Glaser, n’a voulu céder que 10 % de son capital, en échange d’une licence sur une partie de sa technologie. Très mauvaise idée : Microsoft a mis cette connaissance à profit pour développer NetShow, un produit concurrent, qu’il distribue maintenant « gratuitement ». Microsoft a ensuite refusé d’acheter la licence pour les nouvelles versions de RealAudio et RealVideo. Et, selon Rob Glaser, Microsoft a en outre modifié ses logiciels pour empêcher RealAudio de fonctionner correctement.

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D’autres opérations tiennent au contraire du buy out, une technique purement négative qui a pour but de tuer la technologie ou le produit acheté… afin qu’une plate-forme concurrente n’en tire pas avantage. Il existe un exemple assez significatif de cela dans la guerre entre Microsoft et Java. Java est un langage ouvert développé par Sun Microsystem et qui affranchit les utilisateurs de la plate-forme. Il permet aux gens de se passer d’un ordinateur Windows pour exécuter les programmes intéressants sur le réseau. Pour que Java soit un compétiteur efficace, il faut que ce langage dispose de suites bureautiques, de suites logicielles, bref d’un bon environnement de développement. Or, une PME innovatrice, Cooper & Peters, avait justement conçu un début de suite bureautique, EyeOpener, qui avait le potentiel de devenir l’équivalent de Microsoft Office pour tout ordinateur muni de Java, y compris, bien entendu, ceux qui ne contenaient pas Windows 36. Eh bien, Microsoft a racheté EyeOpener, peu après sa présentation, officiellement pour « accélérer la pénétration des librairies Java de Microsoft ». Mais aujourd’hui, personne n’entend plus parler de ce produit. Difficile de ne pas penser que le seul but de ce rachat était d’éradiquer un logiciel subversif.

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Dominique Nora :Ces pratiques sont certes brutales. Mais en quoi sont-elles répréhensibles ? Ne constituent-elles pas, au fond, l’application sans états d’âme des règles de base du business : tuer la compétition, tant qu’elle est encore faible ?
Roberto Di Cosmo :Les manoeuvres de buy in et buy out ne sont probablement pas illégales, sauf quand il y a copie sauvage de propriété intellectuelle brevetée. Mais, pratiquées à cette échelle par un acteur si riche, elles représentent un risque pour la créativité de l’industrie. Or, seule l’innovation sans entraves est le garant du progrès. Surtout quand le censeur technologique universel a le niveau scientifique déplorable de Microsoft… Regardez les conférences de développeurs pour Windows CE. On y assiste au spectacle désolant de serfs qui cherchent des miettes sur la table du seigneur. Ils se demandent tous, en substance : « Qu’est-ce que je peux faire, moi, qui n’intéressera pas Microsoft tout de suite ? » Dès que Microsoft dit, par exemple : il serait bon que la reconnaissance d’écriture soit intégrée à notre prochain système d’exploitation, plus personne ne se lance dans ce domaine. Même plus besoin, à ce niveau, de pratiquer le vaporware.

Roberto Di Cosmo, Dominique Nora

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