Dominique Nora : Un exemple de ces tactiques marketing agressives ?
Roberto Di Cosmo : Il arrive que Microsoft prenne ses clients en otage en les forçant à acheter un produit dont ils n’ont rien à faire pour obtenir un logiciel qu’ils veulent. Au Japon, par exemple, les utilisateurs adorent le tableur Excel de Microsoft, mais n’apprécient guère son traitement de texte Word, mal adapté aux caractères Kanji. Le problème est qu’Excel n’est vendu que dans la suite bureautique Office, qui comprend aussi Word. Si bien que les Japonais qui veulent Excel doivent aussi acheter Word, même si c’est pour le mettre à la poubelle.
(...)
Dominique Nora : L’autre pratique controversée de Microsoft consiste à lier ses nouveaux logiciels aux produits déjà en quasi-monopole…
Roberto Di Cosmo : Oui, Microsoft utilise son pouvoir de coercition pour imposer
ses nouveaux logiciels, souvent moins bons que ceux qui
existent sur le marché, avec un produit en monopole.
Exemple : Windows 98 contient le logiciel d’organisation Outlook,
ce qui rend tous les éditeurs de produits similaires furieux.
Comment voulez-vous convaincre un utilisateur d’acheter un
programme concurrent, alors qu’il dispose déjà d’Outlook,
intégré à Windows 98, et donc déjà payé avec le système ?
Mais l’exemple le plus flagrant de cette pratique, celui qui est
au centre de l’action du Département américain de la justice,
c’est l’affaire du navigateur Internet Explorer. De l’aveu même de
Bill Gates, Explorer était au départ de très mauvaise qualité.
Christian Wildfeuer, un cadre de Microsoft cité par le magazine
Time, a reconnu lui-même dans un e-mail, en février 1997 : «Il serait très difficile d’augmenter notre part de marché sur les seuls mérites d’Internet Explorer 4. Il est important de faire levier sur l’actif du système d’exploitation afin de pousser les gens à utiliser Internet Explorer au lieu de Navigator.»
Pour imposer Explorer — exactement comme il avait un peu
auparavant essayé d’imposer son service en ligne MSN —,
Microsoft a donc demandé aux constructeurs informatiques de
le pré-installer sur leurs machines, en série, en même temps que
Windows 95. Puis, la conquête d’Internet se révélant peu à peu
la priorité de Microsoft, l’étape suivante a consisté à intégrer
Explorer à Windows 98 : à planter ses racines dans le code
même du système d’exploitation, de sorte qu’il puisse très difficilement
être éradiqué. L’argument massue, vis-à-vis des
médias et du grand public, était qu’Explorer était un « plus »
donné par Microsoft. Cette habile manoeuvre permet à l’éditeur
d’imposer Explorer au détriment de Navigator… tout en se
faisant bien voir auprès des utilisateurs, à qui l’on fait
« cadeau » du fureteur.
Roberto Di Cosmo, Dominique Nora